En Birmanie, tout le monde ou presque est tatoué. Que cela soit pour des raisons esthétiques ou plutôt lié à des croyances religieuses ou spirituelles, le tatouage est très présent dans la vie des birmans. Pour autant, les tatouages sont réalisés uniquement par des hommes… jusqu’à récemment où Kyal Sin Su, à Mandalay, est devenue la première femme tatoueuse de Birmanie.
Il suffit de se balader quelques instants dans les rues de Yangon ou dans n’importe quelle ville en Birmanie pour s’en rendre compte, le tatouage est omniprésent. Sur les bras, les torses, les visages ou les jambes, aucune partie du corps n’est épargnée. Sur les hommes le plus souvent mais également les femmes. Et je ne parle pas des femmes au visage tatoué de l’état Chin, dernières « femmes araignées », tatouées de la sorte pour les rendre moins attirantes et leur éviter d’être choisies pour les bons plaisirs des puissants d’antan. La pratique est séculaire mais ne s’est démocratisée en Birmanie que récemment; les tatouages n’ont maintenant plus la même fonction qu’autrefois où l’on se faisait tatouer pour s’attirer les bonnes grâces d’un dieu ou pour effrayer ses ennemis lors de guerres. La fonction spirituelle laisse place à l’esthétisme même si pour certains, l’aspect magique du tatouage est toujours présent. Un autre aspect du tatouage est, lui aussi, séculaire : aucune femme n’exerçait le métier. Et tout comme la Birmanie s’ouvre au monde, les pratiques évoluent.
C’est en 2015 que Kyal Sin Su ouvre son salon de tatouage à Mandalay, sa ville natale. Un petit endroit car ses moyens sont modestes mais le salon est bel et bien ouvert. L’accueil a été plutôt froid vis à vis de ses homologues masculins « les tatoueurs garçon ne m’aident en aucune façon, ils pensent qu’une femme ne peut pas faire de belles choses artistiques » confie t-elle. Kyal Sin Su n’a pas toujours rêvé de devenir tatoueuse mais ses aspirations n’étaient pas très éloignées de son activité; elle voulait devenir une artiste et plus précisément peintre. C’est de manière autodidacte qu’elle à acquis les différentes techniques du dessin et de la peinture, même si elle à suivit quelques cours auprès de Sue Myint Thein, artiste performeur reconnu à Mandalay, sur le tard. C’est également à l’aide de la plateforme vidéo Youtube et à force de visionner de nombreux tutoriels qu’elle a su perfectionner ses techniques du dessin. Et elle a continué à peindre et à dessiner en parallèle de ses études à l’Université de Pharmacie de Mandalay de laquelle elle est diplômée avant l’ouverture de son salon. Elle avait 21 ans lorsqu’elle a commencé à exécuter ses premiers tatouages « je souhaitais faire quelque chose de beau sur la peau et plus particulièrement la peau des filles avec des cicatrices ». Les accidents de la vie ou une naissance peuvent laisser des traces sur les corps que Kyal Sin Su se plait à mieux faire accepter à ceux qui les portent.
Kyal Sin Su ne tatoue pas tous les jours. Elle a besoin de temps pour élaborer chaque tatouage et donner le meilleur d’elle même à chaque exécution. Ses thèmes de prédilections? le « linework » (le tatouage est formé par différentes lignes droites, géométriques et minimalistes) et les tatouages « newschool », aux contours épais et colorés. Les techniques ne sont pas non plus celles des origines du tatouage, la pointe enduite d’encre de chine que l’on introduit dans la peau laisse place au dermographe et aux pigments industriels. Il faut savoir vivre avec son temps ! Néanmoins, vivre de sa passion n’est pas aisé; tout d’abord au travers du regard des autres, et aussi populaire soit le tatouage en Birmanie « les gens n’aiment pas trop les gens tatoués parce qu’ils pensent que ce sont de mauvaises personnes » m’explique t-elle. Et ensuite, le fait d’être une femme n’arrange pas les choses, les préjugés ayant encore la vie dure en Birmanie. Elle est pour l’instant la seule femme tatoueuse à Mandalay même si d’autres suivent le même chemin qu’elle. Mais la route est sinueuse pour arriver à ses fins. Elle a dû travailler dur pour ouvrir son salon car en plus de la location, il faut aussi acheter tout le matériel: le dermographe, les pigments et l’ensemble du matériel nécessaire à la bonne tenue hygiénique d’une séance de tatouage: « avant de devenir tatoueuse, je dessinais des portraits de gens que je vendais ensuite. J’économisais comme cela pour ouvrir mon salon ». Et avec sa formation en Pharmacie, Kyal Sin Su est rompue aux règles élémentaires d’hygiène; tout son matériel utilisé lors d’une séance est à usage unique. Malgré tout, Kyal Sin Su ne vit pas encore de sa passion et doit se trouver une autre source de revenus: elle confectionne et vends donc des dreamcatchers, des attrapes rêves, une autre alternative pour éloigner les mauvais esprits. Ses clients sont pour la plupart des femmes ou des expatriés. Les hommes birmans ne se pressent ppas au portillon mais laissons le temps faire son office.
Pour l’avenir, Kyal Sin Su souhaite bien entendu se perfectionner dans sa technique, acquérir plus d’expérience et devenir encore meilleure quant à ses créations de modèles de tatouages. Elle ambitionne également de participer à des festivals ou des exhibitions mais ces évènements sont plutôt rares. En attendant de la rencontrer dans un festival, je vous invite à aller visiter sa page Facebook ou d’aller lui rendre visite à Mandalay: Big Star Tatoo Studio – Street 75, entre la street 37 et 38 – Mandalay
Par David Hardillier